JT rallongé : le nouveau-né de France 2 attend le passage des bonnes fées

ouverture du JT allongé

Comment la rédaction du 20h de France 2 a-t-elle fait évoluer sa couverture des enjeux écologiques dans son nouveau format rallongé de JT? Nous avons scruté les dix premières éditions pour établir un état des lieux au début du nouveau dispositif. Conclusion: pour le grand soir du 20h, c’est encore un peu tôt !

“Bonsoir, bienvenue dans le 20h de France 2, une heure de reportage, d’enquête et de décryptage…” Lundi 9 septembre, 20h, la voix d’Anne-Sophie Lapix est pleine de promesses. Cinq jours plus tôt, en conférence de rentrée, Alexandre Kara, directeur de l’information du groupe France Télévision annonçait une petite révolution dans le paysage audiovisuel, à rebours du diktat de la vitesse imposé par les chaînes d’info en continue : les JT de 20h, semaine et week-end, allaient grandir de 20 minutes. Non pas pour couvrir plus d’actualités différentes, mais pour avoir la possibilité de proposer des informations plus approfondies, de dérouler des fils, d’oser la complexité !

Autant de demandes que nous formulons depuis bientôt trois ans. Ce nouveau format va-t-il enfin permettre de traiter plus en profondeur les enjeux écologiques ?

Un tournant écologique avait déjà été annoncé en septembre 2022 et de premières actions intéressantes ont été menées dans la foulée. On peut notamment saluer l’excellent Journal Météo Climat qui permet d’apporter des réponses d’experts aux questions des fidèles de la météo.

Mais la mise en pratique au quotidien de ces bonnes intentions était restée timide dans le traitement de l’information du journal de 20h en lui-même. Cette extension du JT – +50% tout de même! – est donc une réelle opportunité pour aller vers un traitement de l’information à la hauteur des enjeux écologiques ! Rome ne s’est pas faite en un jour, nous avons donc regardé* ce que proposait la rédaction du 20h sur les 10 premiers !

Déception

Les sept premiers JT de la nouvelle mouture ont été pour le moins… décevants. L’actualité du moment aurait pourtant permis de nous rappeler à quel point le changement climatique nous impose déjà ses effets. Les reportages se succèdent en effet sur les incendies (Amérique du Sud, France, Portugal), le coup de froid sur l’Europe, le typhon en Birmanie, les éboulements en montagne, les pluies diluviennes en Europe centrale… Mais qu’en est-il de la relation entre ces phénomènes – ou leur fréquence, leur intensité – et le changement climatique, de nos options pour faire face à ces effets à l’avenir, de notre possibilité d’agir maintenant pour réduire l’ampleur de ces menaces ? Seules deux liens avec les enjeux climatiques ont été relevés, le jeudi 12, dans un reportage sur les températures froides : 1° ces épisodes exceptionnels vont devenir plus rares avec le réchauffement climatique et 2° un agriculteur doit arracher une parcelle de concombre pour planter des légumes d’hiver.

Trente secondes (on a été généreux), dans un reportage de 2min15. Trente secondes en une semaine de JT et une quinzaine de sujets portant sur ces catastrophes.

A noter, sur cette période, que d’autres questions d’ordre écologique ont été abordées, mais pas tout à fait en profondeur…

  • un sujet dédié à la baisse des pollutions (de l’air et sonore) avec le passage du périphérique parisien à 50km/h (2min16, mercredi 11/09))
  • une évocation de la transition écologique (23 secondes, vendredi 13/09), qui est censée être financée par des taxes aux compagnies d’autoroute et d’aéroports.

Bref, une première semaine à 0,8% de présence des enjeux écologiques dans le JT de 20h de France2, avec un nombre d’occasions manquées assez remarquable.

Presque un record d’invisibilisation des enjeux écologiques alors qu’on attendait beaucoup !

Espoirs

Heureusement, la seconde semaine de ces JT rallongés a apporté bien plus de matière à analyser ! On le sait depuis longtemps maintenant, les grandes rédactions savent produire des reportages pédagogiques, éclairants…

Lundi 16/09, 4 séquences ressortent, avec des incursions intéressantes, bien qu’encore très discrètes, de l’écologie…

  • 13 secondes grâce à un sapeur pompier qui évoque le réchauffement climatique au sujet des feux portugais, mais une prise de parole qui ne dépasse pas le simple constat… qu’il existe un changement climatique et que les choses vont empirer.
  • 1min36 pour la présentation en plateau par Nicolas Chateauneuf des ressorts météorologiques de la tempête Boris qui inonde l’Europe centrale. Un focus de 40 secondes est dédié à l’explication du rôle du réchauffement climatique dans cet évènement terrible. Intéressant et didactique, mais là encore, on se limite au constat. 
  • 20 secondes pour évoquer les normes environnementales d’émissions de gaz à effet de serre que doivent respecter les constructeurs automobiles. L’angle du reportage est principalement économique : comment vont s’en sortir les constructeurs ? Merci pour les 19 secondes supplémentaires, qui donnent la parole à une responsable associative spécialiste de la question “transports”: elle rappelle que personne n’a été pris au dépourvu face à ces normes, qui doivent s’imposer en 2025.

Mardi 17/09 : désert écologique total, malgré le temps dédié aux incendies au Portugal et aux “paysages post-apocalyptiques” qu’ils provoquent, à la tempête Boris, et malgré un long sujet sur la bataille des taxes engagée entre la France et la Chine pour protéger la filière automobile française…

On se console, un peu, avec un reportage sur les polluants éternels et autres phtalates ou bisphenols…, qui rappelle à quel point nos corps sont contaminés par ces molécules, directement issues des emballages alimentaires et ustensiles de cuisine. Un reportage orienté “santé”, qui ne pointe pas explicitement les modes de consommation et de production (industrialisation de notre alimentation), même si l’évocation de l’achat en vrac comme solution, et son insuffisance face à l’ampleur du problème, est intéressante. On reste totalement désemparé, impuissant. Aucune discussion sur une éventuelle réglementation, comme celle qui concerne les PFAS, par exemple, qui déplacerait la responsabilité de la santé des épaules du consommateur vers celles des industriels et de la puissance publique ! Un sujet “santé”, donc, qui aurait pu être une belle occasion de parler de santé globale en intégrant une dimension écologique à son traitement.

Mercredi 18/09 : un festival , enfin ! Trois sujets dédiés à des enjeux écologiques majeurs sont traités, représentant plus de 9 minutes du JT !

  • 2min59 : les conséquences en France d’un réchauffement de 4°C, sur la base du rapport publié par le Réseau Action Climat. Anne-Sophie Lapix ouvre le propos avec une affirmation forte : l’action politique du futur gouvernement en matière d’environnement est très attendue  (“le temps presse”). On visualise bien comment évoluent déjà les paysages et comment ils pourraient évoluer encore jusqu’en 2100. On interroge un ancien élu concerné par les questions de submersions sur le littoral atlantique et on termine avec une interview de l’un des auteurs du rapport du RAC, qui dit les choses explicitement : il est indispensable de financer la transition écologique, pour faire baisser nos émissions de GES, meilleur moyen de faire face aux bouleversements qui commencent. Et la journaliste de conclure : “remplacer les énergies fossiles par du renouvelable ou encore développer les transports en commun, autant de solutions pour tenter de reprendre la main”. Une véritable ouverture sur des perspectives collectives positives ! On attend maintenant de nombreux sujets s’inscrivant dans le sillage d’un tel reportage !  
  • 3min43 qui arrivent juste après le reportage assez généraliste précédent, pour voir comment se traduit en action cet “effort” pour “éviter le pire”, comme le dit dans le lancement Anne-Sophie Lapix. On suit l’action d’une association qui accompagne des familles de quartiers populaires vers une alimentation plus végétale, la mise en place de composts… Reportage intéressant. Sur ces enjeux d’”écologie populaire”, d’autres interlocuteurs auraient pu apporter leur expertise (Féris Barkat et Banlieues Climat, Fatima Ouassak et Verdragon, la maison de l’écologie populaire
  • 2min14 pour découvrir l’impact du tourisme sur les baleines en Polynésie : un bel exemple de sujet qui permet non seulement de remettre en question un travers de notre société de consommation et de loisir avec, en l’occurrence, un effet désastreux sur les écosystèmes, mais aussi de montrer des mobilisations et – modérément – la mise en oeuvre de solutions pour faire bouger les lignes.

Vigilance

Ces 10 premiers jours nous auront montré le meilleur comme le pire de ce que peut produire un JT. Le meilleur advient lorsque la rédaction se donne le temps et les moyens d’approfondir les sujets qui méritent notre attention de citoyens. Les journalistes délivrent alors toute la promesse de ce nouveau format de JT. Le pire advient quand les vieilles habitudes persistent et que les sujets clés liés à l’écologie restent traités sous un angle purement événementiel et spectaculaire sans déclencher d’approfondissement, ni même ne serait-ce qu’un lien avec les enjeux clés pour notre survie. Le pire, encore, reste bien présent quand le traitement de l’actualité entretient la croyance qu’un monde digne des années 70 est encore possible en 2024 : évocation, sans prise de recul, de la consommation massive de petit électroménager, relais émerveillé de la communication de SpaceX sur la première sortie extra-véhiculaire de touristes spatiaux…   

En se donnant du temps, ce nouveau format de JT s’ouvre un espace très précieux pour innover et enfin traiter comme il se doit les sujets réellement importants pour les français. Merci au service public de porter cette innovation pour une meilleure information de nos concitoyens ! Pour atteindre cet objectif, encore faut-il passer un cap : acquérir de nouveaux réflexes face aux évènements à relayer, de nouvelles façons d’appréhender les sujets. Pour cela, allonger de 50% la durée d’un JT ne suffit pas, il faut aussi investir des moyens humains et financiers pour que les rédactions, formées dans leur intégralité, aient la possibilité de creuser les sujets, d’en défricher de nouveaux. France Télévision a-t-elle consenti à ces investissements ?

Les habitudes ont la vie dure, mais si le meilleur est possible alors il peut s’imposer. Nous sommes plutôt optimistes – l’évolution est visible et les intentions affichées –  mais nous restons vigilants afin d’accompagner cette transition vers une information à la hauteur de l’urgence écologique. 

* Méthodologie : 

Les JT de 20h du lundi 9/09 au mercredi 18/09 ont été visionnés. Chaque séquence qui évoquait de façon explicite un enjeu écologique a été relevée et analysée : durée, intervention d’un expert, nature de l’information relayée [climat/biodiversité/ressources; causes/conséquences/solutions], description du reportage dans lequel la séquence est intégrée… Une séquence peut ainsi être un reportage complet (si l’ensemble du reportage est traité sous l’angle de l’enjeu écologique), une partie seulement de ce reportage, voire même une ou quelques phrases, lorsque l’enjeu écologique n’est que mentionné ponctuellement.