COP15 biodiversité : 3 questions aux rédactions du 20h de TF1

Du 6 au 20 décembre, alors que se tenait la COP15 de Montréal sur la biodiversité, on a regardé les JTs du 20h de TF1. La coupe du monde de foot a littéralement écrasé l’information : 78 min entre le 15 et le 20 décembre, sans compter une édition spéciale de 150 minutes, environ, le lundi 19 décembre, jour de clôture de la COP15 et d’annonce de l’accord qui y a été signé. La COP15, elle, a été évoquée…  une fraction de seconde, le 20 décembre, lors du seul sujet traitant explicitement d’enjeux de biodiversité.

Face à ce constat, pour le moins choquant, nous aimerions poser 3 questions aux rédactions du 20h de TF1.

Pourquoi avoir fait totalement l’impasse sur la COP15, pendant les deux semaines de sa tenue ?

On connaît les limites des COP climat ou biodiversité. On connaît aussi leurs intérêts. Elles constituent notamment des rendez-vous au cours desquels les Etats membres de l’ONU s’imposent d’aborder, officiellement, des questions qui impliquent la survie de l’humanité (un fait admis par consensus scientifique). Rien de moins. A ce titre, comment imaginer que les JT puissent passer sous silence la tenue de ces rendez-vous, la nature des questions qui y sont discutées, la portée de leurs enjeux, la teneur des discussions et négociations qui s’y jouent ?

La COP15 s’est ouverte le 7 décembre et la clôture, avec un accord signé, a eu lieu le lundi 19 décembre. Entre le 6 et le 20 décembre, aucun sujet n’a été dédié à la COP15 dans les JT de 20h de TF1. Face à cette absence, 12 sujets portant sur les questions de coût, de restriction ou d’économies d’énergie, 14 sujets sur les températures froides et 47 sujets (sans compter une édition spéciale de 2h30) sur la coupe du monde de football.

Nous voulons comprendre comment un tel choix éditorial a pu être arbitré.

Pourquoi ne pas avoir profité de certains sujets traités dans vos JT pour mettre en lumière les enjeux de la COP15 ou lier l’effondrement de la biodiversité au quotidien des téléspectateurs ?

Au lendemain de la clôture de la COP15, vous avez diffusé un sujet sur l’île Cousin, un îlot des Seychelles sur lequel une ONG gère la préservation des écosystèmes. Lieu de vie de centaines de milliers d’oiseaux, nidification de tortues, restauration du corail, les images sont superbes, mais le lien avec le quotidien des français n’est pas… évident. Si la règle de proximité, habituellement si chère au journalisme, ne nous semble pas devoir être une règle d’or, dans certains cas elle peut apporter beaucoup, quand il s’agit de faire prendre conscience d’une réalité dans laquelle nous vivons sans nécessairement le savoir. En l’espèce, l’effondrement de la biodiversité ne concerne pas uniquement les espèces exotiques et les îlots de biodiversité ne sont pas nécessairement des oasis luxuriants dans des « pays de rêve ». On aimerait aussi comprendre en quoi la préservation des habitats et des espèces est cruciale pour nous, humains de France (ou d’ailleurs).

Au final, le reportage de 5 minutes mobilise une agence de production et des professionnels reconnus pour leur travail en milieu naturel, envoyés à l’autre bout du monde. Tout ça pour ne pas faire comprendre au téléspectateur pourquoi le sujet est important et dépasse largement la question exotique de quelques tortues/oiseaux/coraux. Relier cet exemple à ce qui venait de se jouer au Québec aurait permis de faire ce pont entre l’anecdotique et l’universel, entre l’exotique et le quotidien.

Autre exemple marquant, celui de la couverture faite, le samedi 17 décembre, de la réouverture de la route du Pilat (Landes) après les méga-feux de cet été. L’un des promeneurs interrogés évoque le lien entre la vie qui a disparu dans ces feux et ses souvenirs de la forêt, encore vibrants. Un tel témoignage pourrait offrir une accroche sensible, mais très importante, pour éclairer le rôle affectif, culturel, voire spirituel pour certains, que joue la biodiversité dans nos vies. La place des populations autochtones a largement été discutée lors de la COP15, notamment sur la base de leur relation avec leur milieu de vie. Des traumatismes comme ceux qui ont été vécus cet été dans les Landes doivent nous « aider » à appréhender ces multiples dimensions des enjeux de biodiversité. Là encore, la COP15 aurait pu aider à orienter l’angle d’un tel reportage. Il aurait presque suffit de tirer le fil de ce témoignage pour faire un lien entre le vécu intime d’un Français et des enjeux globaux portant sur les conditions de survie de notre espèce.

Pour terminer, un sujet sur les lacs verts des Dolomites (7 décembre) évoque – après plus de 2’30’’ d’arguments touristiques – l’inquiétude relative au manque d’eau et à l’impact du réchauffement climatique sur la biodiversité locale. Question passionnante ! Intervention de chercheurs, de guides spécialisés dans la préservation du milieu… Les deux minutes qui terminent le reportage sont riches. Mais encore une fois, ce sujet intéressant ne permet pas au téléspectateur de faire le lien entre ce sujet, sa propre expérience de la biodiversité et les négociations majeures qui se jouent dans le même temps à Montréal. Pourquoi ne pas aider les Français à appréhender les questions dans toute leur complexité et leur globalité ?

Pourquoi ne pas avoir réitéré la belle séquence de sujets de fonds “Notre Planète” pour présenter les enjeux de la biodiversité en France comme vous l’avez fait pour la COP 27 ? 

En amont de la COP 27, vous aviez consacré 5 sujets de plus de 6 minutes chacun dans les JTs de 20h pour faire le tour des secteur les plus émetteurs de gaz à effet de serre en France : logement, transport, énergie, alimentation et travail. Ces sujets, qui prenaient le temps d’aller dans le détail, avaient de plus pris soin de préciser les ordres de grandeurs des émissions de chaque secteur et pris le temps de présenter les pistes de solutions envisageables.

La seule édition de cette rubrique est arrivée le 20 décembre, juste après la clôture de la COP15 et elle s’est bornée à illustrer un exemple de préservation de la biodiversité dans une zone lointaine, grande comme le Jardin des Tuileries, en donnant l’impression que la biodiversité mondiale pouvait être sauvée grâce à ce type de dispositif…

Nous espérions vraiment revoir cette même série pour la biodiversité et voir des sujets sur les pesticides, l’agriculture, les forêts, l’artificialisation des sols, les aires marines protégées, les parcs naturels et bien d’autres. Pourquoi ne pas avoir saisi l’opportunité de la COP 15 pour reproduire ce format dont vous pouvez légitimement être fiers ?