
Sophie Roland, journaliste indépendante, est aujourd’hui aussi formatrice sur les enjeux climatiques auprès des rédactions de plusieurs médias français et des écoles de journalisme, une précurseure dans ce domaine. Pour la reprise de Tant de cerveaux disponibles – le webinaire de Plus de climat dans les médias – elle est revenue pour nous sur son parcours et les défis de ses deux métiers. Extraits.
Écoutez l’intégralité de l’interview.
Climat Médias : Comment tu t’es formée aux enjeux écologiques ?
Sophie Roland : À l’Institut des Futurs souhaitables. C’est un cheminement qui dure 6 mois et qui permet de rencontrer beaucoup d’experts et de comprendre les enjeux plus clairement. J’ai aussi fait les Fresques du Climat, les Ateliers 2tonnes, les Fresques Océane. Et puis je me suis plongée dans les rapports du GIEC, tout simplement. J’ai fait de l’auto-formation pendant des mois.
Parallèlement je me suis formée aussi au journalisme de solutions. Parce qu’à travers mes enquêtes j’avais une petite frustration de leur impact, trop limité. Je me suis dit : il faut aussi parler de solutions. Mais comment? Et, cela ne s’apprenait pas aux écoles de journalisme, à mon époque. C’est en train de changer. Donc j’ai appris comment mieux traiter les solutions avec rigueur au Solutions Journalism Network, avec des gens qui ont vraiment l’enquête liée au corps. J’ai écrit des documentaires et ces documentaires liés aux enjeux et aux solutions, je n’arrivais pas à les vendre. Les diffuseurs me disaient “ça marche pas l’écologie, ça ne fait pas d’audience”. Alors, je me suis demandé si je pouvais les former. Et c’était le bon moment.
J’ai commencé en 2021 et il y a eu l’année 2022 qui, vous le savez, était un changement. C’est là où vous, Plus de climat dans les médias vous commencez aussi à mettre la pression sur les médias. C’est là que les médias se réveillent. Ce fameux été 2022 entre les incendies et les canicules, il y a eu une prise de conscience. Les organismes m’appelaient, il fallait former tout le monde, tout de suite !
“Il n’y a pas assez de transversalité dans les enjeux. Pour les traiter, il faut changer les habitudes et c’est compliqué. Un angle est un angle dans les JT. Pour appréhender les enjeux, il faut faire des liens, davantage de transversalité, ce n’est pas une évidence.”
C.M : Tu parles de l’année 2022 comme d’un point de bascule dans les médias, une prise de conscience sur les enjeux climatiques. Est-ce que pour toi, aujourd’hui, le traitement de ces questions dans les JT est à la hauteur de cette prise de conscience de départ ?
S.R.: Pas encore. Il y a du progrès. Je pense que l’une des révolutions c’est le Journal Météo Climat sur France TV. C’est quand-même la première fois qu’on décide de transformer l’un des rendez-vous les plus populaires, la météo, et d’y intégrer des enjeux climatiques, de faire appel à des scientifiques, de leur donner la parole à une heure de grande audience. De plus, y associer les téléspectateurs, leur poser des questions, ce côté participatif contribue à la prise de conscience du public.

Dans la même optique, les JT de TF1 et de M6 vont beaucoup plus lier les phénomènes météo aux changements climatiques. Les liens sont davantage faits. On parle davantage aussi des solutions. Je pense notamment aux solutions d’adaptation, largement traitées lors des vagues de chaleur. Mais il y a aussi plus de reportages sur les solutions d’atténuation, sur la transition.
Il y a des rubriques qui sont nées. Par exemple TF1 a mis en place “Notre Planète”, diffusée tous les midis et tous les soirs. Ce n’est pas rien ! Quelque soit l’actualité, il y a une place pour les enjeux environnementaux tous les jours.
C.M.: L’Observatoire des Médias sur l’Écologie a enregistré entre 2023 et 2024 un recul de 30 % du traitement des enjeux écologiques par les médias audiovisuels, dont les JT de TF1, France 2 et M6. Comment expliques-tu ce recul ?
S.R.: D’abord, il n’y a pas assez de transversalité dans les enjeux. Pour les traiter, il faut changer les habitudes et c’est compliqué. Un angle est un angle dans les JT. Pour appréhender les enjeux, il faut faire des liens, davantage de transversalité, ce n’est pas une évidence. Les différents services spécialisés se battent au sein de tous les médias audiovisuels et il y en a encore qui ne se sont pas totalement emparés de ces sujets.
Ensuite, il y a beaucoup de dissonances entre les sujets dans les JT. On peut voir un reportage sur la pollution des bateaux de croisière et puis le lendemain un autre sur la revanche de la bagnole.
Puis, il y a beaucoup d’éditorialistes qui voient encore ces enjeux à travers le prisme du parti des écologistes. Ils ne sont pas assez armés face à la montée du populisme, de la désinformation, du débat extrêmement clivant. Quand les journalistes ne sont pas assez armés face aux éléments de langage de ces politiques, ils peuvent se faire malmener et ils peuvent contribuer à désinformer. Selon moi, ça a contribué au recul de l’écologie ces derniers mois dans les médias.
Enfin il y a aussi la verticalité. Aujourd’hui c’est une course entre les chaînes. Faire un sujet de 2 minutes, on met 2 heures, 3 heures le jour J, après il y a ceux qu’on peut anticiper. Souvent les sujets attendent déjà les journalistes et les rédacteurs en chef au moment d’arriver à la rédaction. Il n’y a pas beaucoup de marge pour discuter, pour échanger sur les angles.
C.M. : Pourtant penser à travers le prisme de l’écologie permettrait de dégager des angles nouveaux et intéressants dans cette course effrénée à l’info, comme tu dis.
S.R.: C’est exactement ce que j’essaye d’expliquer lors des formations. On a besoin de nouveaux récits. On a besoin de récits qui vont raconter les histoires de ceux qui sont en action, de ceux qui changent. Et pas seulement des individus ! Des entreprises, des collectivités, des mairies qui font la transition. Effectivement ce sont de nouveaux angles. C’est aussi montrer ce qu’on y gagne de changer.
“Souvent ce qu’on nous apprend à l’école, c’est les trains qui n’arrivent pas à l’heure, c’est d’aller chercher le problème. C’est facile : les problèmes tombent tous de l’arbre. Les solutions ne tombent pas de l’arbre (…). Il faut aller les chercher.”
C.M : Quel serait pour toi un reportage de JT exemplaire sur le traitement de la question climatique ?
S.R.: Dans ces nouveaux récits-là, je pense à deux exemples.
Le premier, sur France 2, un reportage de Thomas Baïetto sur un village qui vit grâce au soleil. Il est allé voir le maire qui a fait ce pari énergétique et a raconté comment il avait convaincu les habitants. Aujourd’hui le village est devenu autonome et n’a pas connu la crise énergétique. C’est un bon exemple parce qu’on voit ce qu’on y gagne. Ça a baissé la facture de tout le monde !
Mais attention, on n’est pas là pour raconter la belle histoire. Il y a forcément des limites dans la mise en place, des obstacles. Le journalisme de solutions c‘est raconter, décrypter la solution mais aussi ses limites.
Le deuxième exemple, sur TF1, les reportages sur les super-pouvoirs des animaux de Tiphaine Leproux au sein de Notre Planète. Elle a par exemple fait un sujet sur les verres de terre. Allez intéresser les Français aux verres de terre! À priori c’est pas gagné. Mais à la fin de son sujet, tel qu’elle l’a fait, on se dit : “je veux m’acheter un composteur”. Dans ce sujet on montre les idées reçus du compostage, ensuite on montre ses intérêts, puis les agriculteurs qui utilisent ce type de fertilisant et dont l’utilisation de l’engrais a baissé. Ça fait baisser leurs factures et c’est mieux pour les sols, donc c’est mieux pour tout le monde et pour la santé.
Ce genre de sujets sont hyper importants parce que ça montre qu’il y a des acteurs qui font la transition en France et que c’est possible. Pourquoi c’est si compliqué pour les journalistes ? Parce que souvent ce qu’on nous apprend à l’école, c’est les trains qui n’arrivent pas à l’heure, c’est d’aller chercher le problème. C’est facile : lesproblèmes tombent tous de l’arbre. Les solutions ne tombent pas de l’arbre, elles murmurent comme on le dit au Solutions Journalism Network. Il faut aller les chercher. Donc, ça prend plus de temps. Or, aujourd’hui prendre du temps alors que tout le monde court c’est compliqué.
Pourtant c’est ce qu’attendent les spectateurs ! La fatigue informationnelle monte, toutes les études le disent ! Les gens en ont ras le bol du côté anxiogène de l’information. Aller chercher ces informations sur les solutions aurait un impact bien plus intéressant. Reconnecter avec le grand public et montrer que l’écologie n’est pas forcément punitive, c’est un enjeu majeur. Notre rôle de journaliste, notre responsabilité, c’est aussi d’aller voir ceux qui transitionnent.