Le journalisme de solutions, à la hauteur de l’urgence climatique ?

Tant de cerveaux disponibles, le journalisme de solutions, une réponse à la hauteur de l'urgence climatique, avec Pauline Amiel

Le journalisme de solutions permet-il d’améliorer le traitement médiatique des enjeux écologiques ? Dans cet épisode de Tant de cerveaux disponibles, nous avons discuté avec Pauline Amiel, directrice de l’École de journalisme et de communication d’Aix Marseille Université et spécialiste de la question. 

Extraits de l’interview où Pauline nous raconte cette méthode professionnelle créée aux USA qui incite les journalistes à aller au-delà du constat, jusqu’aux solutions pour une vision plus constructive et à sortir du cadre classique épisodique du journalisme. Elle nous ouvre ces perspectives sur d’autres réalités.

Climat Médias : Qu’est-ce que le journalisme de solutions ?

Pauline Amiel : C’est une méthode de professionnels, créée par des journalistes aux États-Unis. On remonte aux années ’90 pour trouver les premières appellations de “journalisme de solutions”. Cette méthode incite les journalistes d’aller au-delà du constat du phénomène, du fait de société qu’on va appeler le problème, en essayant de proposer une vision constructive, une solution, pour répondre au phénomène de société dont on parle. Le journalisme de solutions est aussi appelé journalisme constructif ou journalisme d’impact. 

Le premier caractéristique du journalisme de solutions est qu’il dépasse le cadre traditionnel du journalisme rapportant les faits, les 5 W (dans le journalisme anglo-saxon le Who ? What ? When ? Where ? Why ? c’est-à-dire le Qui ? Quoi ? Quand ? Où ? Pourquoi ? Comment ?) en y ajoutant le “Et maintenant que ce constat est fait, qu’est-ce qu’on peut faire?”. Sa seconde caractéristique est que – à l’instar du journalisme public déployé aux États-Unis plus tôt au 20ème siècle – il repense la place des journalistes dans la société et leurs rapports au public.  

C.M. : On entend souvent que le journalisme de solutions va apporter les bonnes nouvelles, ce qui est positif pour pallier aux informations considérées comme négatives et anxiogènes.

P.A.: Pour les professionnels qui pratiquent le journalisme de solutions, la volonté n’est pas du tout de taire ce qui ne va pas et de faire la publicité de ce qui va. Cette pratique va bien au-delà : il s’agit de changer la logique journalistique. Selon ces journalistes, aujourd’hui la construction de l’information n’est plus suffisante, ne correspond plus à la réalité. Il faut avoir une attention portée sur les potentielles résolutions d’une situation sans en faire la promotion, en rééquilibrant son traitement.

 

“Il y a une conception de l’actualité de l’information qui est très formatée et qui empêche les journalistes de traiter différemment tout ce qui dépasse les cadres”

 

C.M.: Pour prendre un cas très particulier, en ce moment les médias parlent beaucoup de la canicule. Mais les associations comme Climat Médias, QuotaClimat ou l’Observatoire des Médias sur l’Écologie (OMÉ) soulignent que les rédactions la traitent comme si c’était une crise passagère, sans faire le lien avec le dérèglement climatique ou parler des solutions pour éviter la répétition à long terme de ces vagues de chaleur. Comment tu expliques ce choix des rédactions ?

P.A.: C’est lié à la façon dont le journalisme envisage l’information et l’actualité. On apprend dans les écoles de journalisme ce cadrage médiatique. Il y a une conception de l’actualité de l’information qui est très formatée et qui empêche les journalistes de traiter différemment tout ce qui dépasse les cadres. Typiquement, la crise climatique est compliquée à traiter pour les journalistes, parce qu’elle ne rentre pas dans le cadrage événementiel et épisodique de l’actualité. 

De manière générale, il se passe un événement, on parle de cet événement et puis on l’oublie. C’est le cadrage épisodique classique de l’actualité. La crise climatique sort de ce cadre. C’est tellement global que tous les sujets devraient être traités par ce prisme là ! Il faudrait avoir un regard qui se porte sur le long cours, une lecture des causes et des conséquences potentielles et pas du tout un cadrage épisodique comme on voit en ce moment avec la canicule. On va traiter ce sujet de façon massive pendant un certain temps puis on va passer à autre chose et à la prochaine épisode de canicule les médias vont s’étonner à nouveau en ayant le même traitement très épisodique et donc trop restreint pour bien comprendre les enjeux, les causes ou les conséquences d’une crise qui est beaucoup plus globale. 

C.M.: Est-ce que le journalisme de solutions serait une réponse possible pour améliorer le traitement médiatique de la crise climatique et la capacité des citoyens de s’emparer de ces sujets-là ?

P.A.: En tout cas, les personnes qui font du journalisme de solutions l’envisagent comme ça. Cette façon de faire permettrait aux journalistes de se détacher de leurs habitudes de traitement, du cadrage qui procède par épisode. Elle permettrait d’aller au-delà des faits non pas en donnant son opinion mais en montrant les causes, les conséquences et les leviers d’actions, un tout. En envisageant la canicule dans son ensemble, pour reprendre l’exemple, et non seulement par le constat de l’augmentation des températures. 

 

“Les publics ne peuvent pas se satisfaire du traitement qu’on propose dans la plupart des médias”

 

C.M. : On a parlé du rôle des journalistes dans le journalisme de solutions, mais est-ce que la société civile, je pense notamment à Climat Médias ou à l’OMÉ, peuvent contribuer à l’émergence de ce type de journalisme ?

P.A.: Oui, j’y crois profondément et c’est pour ça que je suis contente de pouvoir faire partie du comité d’experts de l’OMÉ. C’est une initiative précieuse illustrant le rôle important que peut jouer la société civile. Dans l’espace public d’aujourd’hui les acteurs qui peuvent remettre dans le débat ces sujets sont les journalistes et les scientifiques. D’un côté les journalistes sont dans une certaine précarité dans le travail, ils doivent traiter de plus en plus de sujets, notamment pour le web, pour les réseaux sociaux et sans avoir plus de moyens pour travailler. De l’autre côté, les scientifiques ne possèdent pas non plus des conditions de travail idéales et, de plus, c’est souvent difficile pour eux de sortir du champ scientifique pour mettre le sujet dans l’espace public. 

C’est pour ça que c’est précieux que la société civile s’empare de ces sujets. Parce que c’est un soutien puissant qui se base sur le travail des scientifiques, qui travaille avec les scientifiques et qui connaît et dialogue aussi avec les médias. La société civile peut montrer aux médias d’autres possibilités de traitement ou encore montrer l’impact de ces sujets sur les décisions politiques et les décisions des citoyens. Ça fait vraiment bouger les lignes !

C.M.: Est-ce que le journalisme de solutions est économiquement viable pour les rédactions ? 

P.A.: C’est une excellente question ! C’est aussi l’une des promesses du journalisme de solutions : on instaure un nouveau regard sur le public. Il y a eu des études aux États-Unis qui montrent que le journalisme de solutions crée plus d’engagement que d’autres types de journalisme. Ça crée de l’espoir pour les médias pour avoir une solution pérenne. Je pense que, dans tous les cas, le journalisme de solutions fait du bien aux journalistes et de ce fait c’est déjà précieux. Réfléchir à ses pratiques professionnelles, réfléchir à comment traiter l’information, ne pas avoir uniquement un regard négatif sur le monde. Le journalisme de solutions est une façon de montrer aux publics qu’on peut avoir d’autres types de rapports avec les médias que la défiance, qu’on prend en compte les reproches et qu’on essaye de travailler les liens de confiance. La notion de lien avec la société est fondamentale dans le journalisme de solutions. Les modèles économiques de l’information aujourd’hui sont  assez précaires. On n’a pas trouvé un modèle qui fonctionne, mais le journalisme de solutions peut solidifier les liens avec le public. 

Je crois que le journalisme de solutions permet d’améliorer le traitement de nombreux sujets et en particulier celui de la crise climatique. Et les publics doivent encourager ces initiatives ! Il faut suivre et soutenir les médias qui traitent la crise écologique et pratiquent le journalisme de solutions comme Reporterre ou Vert le Média. Les publics ne peuvent pas se satisfaire du traitement qu’on propose dans la plupart des médias. En valorisant les médias qui font cet effort d’aller vers un traitement plus complexifié de la crise climatique, on peut tous jouer un rôle là dedans !

L’interview intégrale de Pauline Amiel est à retrouver sur notre compte Instagram